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Le débat sur la libre circulation des données de santé

mercredi 2 juin 2004, par Gilles Johanet

Gilles Johanet : « Les assureurs sont d’accord pour être contrôlés »

Chargé aux AGF des activités de santé et d’assurances collectives, l’ancien directeur de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam), Gilles Johanet, considère l’accès des complémentaires aux informations relatives à la santé de leurs assurés comme indispensable dans un système où la régulation des dépenses se fonde sur la qualité et la performance des soins.


LE QUOTIDIEN - Vous avez participé à un colloque sur la transmission des données de santé. Ce sujet est-il devenu crucial pour la bonne marche de notre système de santé ?

GILLES JOHANET - Complètement. Je crois que la conclusion particulièrement nette sur ce point du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie le démontre. En matière de données de santé, nous sommes devant une évolution qui fait de « la libre circulation la règle et de la rétention, l’exception ». Pourquoi ? Parce qu’il y a, aujourd’hui, consensus : la qualité et la pertinence des soins doivent être les moteurs de la régulation. Pour que cela fonctionne, il faut savoir ce qu’on consomme. Cela étant, que la libre circulation des données de santé suscite des craintes, nous pouvons le comprendre. Mais nous ne réclamons pas un blanc seing. Nous disons seulement aux pouvoirs publics : si vous nous laissez à l’extérieur - ou si, a fortiori, vous ne mettez pas en œuvre cette libre circulation des données de santé -, ne comptez pas sur une amélioration de la performance du système. On serait dans une logique de maîtrise comptable, la question serait autre. Mais dans un système de maîtrise médicalisée, on s’intéresse à chaque acte. Et on privilégie la continuité et la coordination des soins.

En matière de données de santé, quelles sont les doléances des organismes complémentaires ?

Il faut partir de ce constat : à l’heure actuelle, les assureurs complémentaires n’ont pas le droit d’accéder à quelque donnée de santé que ce soit. Ils reçoivent des agrégats du régime général (auquel cela coûte d’ailleurs très cher) et ils paient leurs assurés à l’aveugle. Si, un jour, le gouvernement décide de dérembourser totalement 425 médicaments, nous ne pourrons pas choisir, nous assureurs complémentaires, de maintenir le remboursement pour une partie d’entre eux... Les assureurs complémentaires sont soupçonnés des pires maux. Je note d’ailleurs que si tous les reproches que j’entends étaient avérés, leurs profits seraient rutilants, ce qui n’est pas vraiment le cas en assurance santé ! Nous tenons à ce que l’on ne pratique pas l’amalgame entre l’assurance vie (qui est obligatoirement sélective) et l’assurance santé où 95 % des contrats ne sont pas sélectifs - ils ne le sont pas, d’ailleurs, d’emblée puisque le gros risque est pris en charge par l’assurance-maladie obligatoire.

Comment calmer les inquiétudes que vous évoquez et qui, malgré tout, ne manquent pas de se manifester quand on évoque l’accès des assureurs privés aux données de santé ?

Deux choses. Il faut d’abord un accord entre les pouvoirs publics ou l’AMO [assurance-maladie obligatoire, c’est-à-dire le régime de base] et l’AMC [assurance-maladie complémentaire] sur la répartition données nominatives/données anonymes. Ensuite, il est important de comprendre qu’au-delà d’un cahier des charges initial, les assureurs sont parfaitement d’accord pour être contrôlés. Sur pièces et sur place. Que ce soit par la Cnil ou par un autre organisme. Pour ce contrôle, le paradigme doit changer : la prévention sera ringarde et la répression moderne. Car si on interdit trop a priori, on ne peut rien faire. On est même en porte-à-faux croissant avec nos assurés qui sont de plus en plus exigeants et appliquent cette exigence à une offre de soins de plus en plus diversifiée. Prenons l’exemple des médicaments à spectre étroit et à coût élevé. Face à ces médicaments, si on veut maîtriser la dépense, il faut forcément un effet nominatif. Si c’est interdit, alors il y aura étranglement de l’offre et de la demande. La seconde grande régulation relève moins des pouvoirs publics que de l’individu. Que souhaite-t-il ? Il faut son accord et la question qu’il doit se poser est celle de l’équilibre entre la protection de sa vie privée et sa perte de chance sanitaire. En fonction de ces deux données un peu contraires, chacun doit doser lui-même son degré de transparence.

Le futur dossier médical partagé devra-t-il être l’élément pivot de la transmission des données de santé ?

Il peut être un élément tout à fait capital mais on n’en est pas là - ce « on » étant tout le monde puisque le ministre de la Santé ne prévoit pas la généralisation du dossier médical avant juillet 2007. Gérer les données de santé, c’est très coûteux, très compliqué. Les assureurs aimeraient bien commencer simplement. Par le médicament et les dispositifs médicaux, par exemple - les volets prescription et diagnostic étant extraordinairement complexes sur le plan éthique et médical.

Vous présidez désormais le comité chargé de l’assurance-maladie au sein de la Ffsa (Fédération française des sociétés d’assurance). Quel regard portez-vous à ce titre sur le projet de réforme de l’assurance-maladie défendu par Philippe Douste-Blazy ?

Au comité maladie de la Ffsa, nous avons deux soucis. Celui de l’accès aux données, clef de voûte de la qualité. Celui de la coordination entre l’assurance-maladie obligatoire et l’assurance-maladie complémentaire. Dans le cadre d’objectifs de santé publique, nous disons oui à une convergence, non à une uniformité qui serait un jeu perdant/perdant. Nous faisons le constat basique que l’AMO en France ne rembourse pas toutes les utilités médicales secondes et ne peut pas le faire - la ressource est limitée quand la demande est, peut-être, illimitée. Soit. Dans ces conditions, deux réglementations sont possibles : l’uniformité de remboursement AMO/AMC (mais cela correspond à une perte de chance avérée pour les assurés) ; la création d’un espace pour l’AMC. Dans le second cas, l’AMC ne déciderait pas, bien sûr, de ce qui relève de l’utilité médicale seconde mais elle pourrait, comme n’importe quelle partie prenante, constater que tout un champ n’est pas couvert par l’AMO et l’investir. Pour le reste, cette réforme est une étape. Il y en aura d’autres.

PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE PIGANEAU


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