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Quand les médicaments recyclés empoisonnent le tiers-monde

dimanche 17 octobre 2004, par Jérôme Canard - Le Canard enchaîné du 13 octobre 2004

Le système Cyclamed, déjà accusé de couvrir certaines fraudes, est dénoncé par plusieurs ONG.

Mais les labos pharmaceutiques y trouvent leur compte


BRANLE-BAS de combat ; depuis un mois dans le landerneau médicamenteux. Le 14 septembre, les représentants des apothicaires et de l’industrie pharmaceutique ont été convoqués au ministère de la Santé. Et, depuis, ils attendent le verdict, ou plutôt le diagnostic, après la poussée de fièvre déclenchée par les révélations sur les dérapages du système Cyclamed.

Obéissant au "bon réflexe" prôné par ce programme, les patients sont priés de rapporter à leur pharmacien les mé- dicaments non utilisés, afin qu’ils soient détruits ou donnés à des associations humanitaires. Mais quelques tenanciers d’officines peu scrupuleux en profitent pour remettre en rayon et vendre une seconde fois ces produits. Certains se sont fait pincer...

- Douste-Blazy a décidé de diligenter une enquête. Lors de la réunion du mois dernier, pourtant, ce ne sont pas seulement les dérapages de Cyclamed qui ont été mis en cause, mais le système lui- même. Jean Parrot, président. du conseil de l’ordre des pharmaciens, a rappelé qu’il demandait depuis des années aux pouvoirs publics de mettre fin à Cyclamed. Car au-delà des cas de pharmaciens fraudeurs, il est un autre effet pervers de ce recyclage que dénoncent elles aussi depuis longtemps les ONG, comme « Le Canard » s’en était fait l’écho (30/11/94).

Bons pour la poubelle

Les médicaments ainsi collectés et expédiés dans les pays du tiers-monde peuvent se révéler plus dangereux encore que les maux dont souffrent les populations locales. Boites périmées, notices incompréhensibles, molécules inadaptées aux besoins ou nocives... Pour nombre de spécialistes, ces prodùits pharmaceutiques ne font que contribuer à la catastrophe sanitaire qui règne dans ces pays. « Les traitements que nous envoyons sont, au mieux, inutiles, au pire, dangereux" , résume Jean Parrot.

- Et les exemples ne manquent pas. Docteur en pharmacie, Carinne Bruneton a travaillé plusieurs années en Côte d’Ivoire. Deux ou trois fois par an, elle recevait un chargement de médicaments provenant de lots non utilisés dans l’Hexagone. Le contenu de cette manne providentielle laisse pantois. La pharmacienne y trouvait des coupe-faim, des veino-toniques pour lutter contre les jambes lourdes et même... des crèmes amincissantes ! Autant de produits de première nécessité en Afrique ! Autre trouvaille, dont il vaut mieux rire, l’envoi au Soudan de « stimulants de l’appétit » et de médicaments contre le cholestérol...

Retraitement des déchets

Plus embêtant, les médicaments sont souvent détournés à l’arrivée et revendus sous le manteau. Un pharmacien français qui se promenait sur le marché de Bamako s’est vu proposer par un vendeur à la sauvette des cachets contre l’hypertension censés le guérir... de la fièvre !

- L’Afrique n’est pas le seul continent à recevoir nos rebuts médicamenteux. Certains pays d’Europe touchent leur part, avec les mêmes effets pernicieux.

Un grave accident s’est ainsi déroulé en Lituanie en 1993. Onze femmes ont temporairement perdu la vue après avoir absorbé un médicament à usage vétérinaire ! Un autre exemple édifiant est cité dans un rapport de l’OMS daté de 1999. « On estime qu’entre 1992 et le milieu de l’année 1996 la Bosnie-Herzégovine a reçu 17000 tonnes de médicaments inadaptés dont l’élimination aurait coûté 34 millions de dollars », peut-on lire dans ce rapport. Les quantités de médicaments inutilisables étaient telles que l’organisation Pharmaciens sans frontières a dû dépêcher sur place, à grands frais, un camion chargé d’un incinérateur pour détruire les produits que la France avait envoyés par le réseau Cyclamed.

Les situations provoquées par la « générosité médicamenteuse sont si préoccupantes qu’elles ont conduit certaines ONG à réagir. Aujourd’hui, les plus grandes associations caritatives, tels Médecins sans frontières ou Médecins du monde, refusent d’avoir recours aux médicaments de récupération. « Nous achetons la totalité des produits dont nous avons besoin », explique Eric Cerqueira, pharmacien responsable des opérations à l’étranger de Médecins du monde.

Par deux fois, en 1996 et 1999, l’OMS a tiré la sonnette d’alarme en recommandant qu’on en finisse, en ce domaine, avec les dons. Avec cet argument imparable : si un médicament recyclé n’est « pas acceptable " dans le pays do- nateur, il ne doit pas être offert aux autres.

Les Français à l’abri

Un exemple, au hasard : en France, le ministère de la Santé interdit toujours l’utilisation de médicaments de récupération dans tous les établissements hospitaliers.

Motif : « Cette réutilisation fait apparaître des problèmes au regard de la santé publique. » Cela ne doit avoir aucune importance pour le tiers-monde, puisque Cyclamed fonctionne encore avec la bénédiction des pouvoirs publics.

- Pourquoi s’obstiner à maintenir ce système ?

Cyclamed annonce fièrement avoir collecté l’an passé 14207 tonnes de produits, emballages compris. Mais 510 tonnes seulement ont pu être réutilisées sous forme de dons. Pour les labos pharmaceutiques, le calcul est vite fait. La loi leur impose, comme à tous les industriels, d’assurer l’élimination des rebuts générés par leur activité. Le système Cyclamed ne coûte que 0,4 % de leur chiffre d’affaires, beaucoup moins que s’ils devaient recourir à un réseau de traitement des déchets. Et, en prime, il les fait passer pour des bienfaiteurs de l’humanité souffrante.

- Tant que les braves gens sont prêts à avaler la pilule...


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