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Claude Frémont vient de donner sa démission de son poste de directeur de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Nantes.

« J’en ai marre du double discours, soupire Lucky Luke, en grillant une énième cigarette, je me casse. »

vendredi 21 avril 2006, par Le Figaro

PORTRAIT Après une douzaine d’années passées à traquer les fraudeurs, Claude Frémont quitte la Sécu en poussant un dernier coup de gueule.

DE TOUS LES SURNOMS dont les médias l’ont affublé - « Chevalier blanc », « Zorro », « Eliot Ness » - celui de « Lucky Luke » lui convient le mieux. On s’en aperçoit à la fin de l’aventure, alors que l’incorruptible de la « Sécu », Claude Frémont, vient de donner sa démission de son poste de directeur de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Nantes.

S’impose maintenant l’image d’un rebelle, jaloux de sa liberté et de son indépendance jusqu’à l’orgueilleuse solitude. Alors qu’il s’en va, passent aussi sur la silhouette sportive de cet homme de 63 ans une ombre de tristesse et un frisson - cette désagréable sensation de n’être plus à sa place dans un monde trop policé.

Contrairement au héros de papier, cette « grande gueule » de Frémont ne part pas sur la pointe des pieds. Les uns après les autres, les médias exposent ses griefs contre la réforme Douste-Blazy sur la Sécu, en saluant ce pourfendeur d’idées reçues, cet iconoclaste aux formules incisives. C’était un bon client. Peut-être parce que ce fils de boulanger, né à Joué-sur-Erdre, dans ce département de Loire-Atlantique qu’il n’a guère quitté, avait rêvé d’être journaliste.

Mais « dans mon milieu, il fallait travailler jeune ». Claude Frémont devient instituteur, puis, toujours dans l’enseignement catholique, professeur de lettres et d’anglais. Et il démissionne. « Déjà une affaire de pavés », s’amuse-t-il. A l’époque, en mai 68, il ne les maniait pas, s’en tenant à un flirt avec la CFDT et l’autogestion. Depuis, il s’est largement rattrapé à la Sécu, où il aime « jeter les pavés dans la marre »...

« Je ne fait qu’appliquer la loi »

Les médias le découvrent en 1993. Claude Frémont vient d’être alerté par son beau-père, surpris des factures imaginaires de son kinésithérapeute. Celui qui n’a rien d’un Zorro avançant masqué dénonce aussitôt dans la presse les 150 000 euros volés à des patients, et fait rendre raison à l’indélicat. Le patron de la CPAM nantaise a trouvé sa croisade - les fraudes à la Sécurité sociale. Il a des troupes - deux douzaines d’agents enquêteurs. Une méthode : l’action en justice et dans les médias. L’ensemble marchant sous son étendard : « Voler la Sécu, c’est voler ma caisse, c’est se foutre de ma gueule ! »

Les affaires se succèdent. Supporter du club de football de Nantes, Claude Frémont bondit dans la tribune lors de l’agression d’Yves Deroff par le joueur marseillais Patrick Blondeau. Au sortir du stade, il estime que ce n’est pas à la Sécurité sociale de payer les soins et l’arrêt de travail prescrits au blessé. L’Olympique de Marseille versera 30 000 euros d’indemnités à la CPAM. Son directeur obtient également gain de cause contre un centre de thalassothérapie, qui se vantait de rembourser des consultations médicales. Un pharmacien, qui photocopiait des vignettes et multipliait les feuilles de soin, est rayé de la profession, une fois payé une ardoise de 150 000 euros. Et trois psychiatres, qui consultaient chacun 365 jours par ans, remboursent 100 000 euros.

Il y a quelques jours, Claude Frémont remporte une dernière victoire - « je n’ai jamais perdu devant la justice » - quand le tribunal de Nantes refuse d’accorder un congé paternité à la compagne d’une homosexuelle venant de procréer. « Je ne suis pas un chevalier blanc, la morale n’a rien à voir là-dedans ; je ne fais qu’appliquer la loi. »

« J’en ai marre du double discours »

Dans son bureau au huitième étage, Claude Frémont reprend une cigarette. Il ne s’amuse plus. C’est le démissionnaire qui parle. Il n’a pas supporté le dernier audit de la caisse nationale, qui l’enjoint de fermer nombre des maisons de la Sécu qu’il a créées et auxquelles il tient tant. L’objectif est de regrouper tout le monde sur le même site. « Au nom de la plus grande économie, reconnaît le presque retraité, c’est bien, mais alors il ne faut pas vanter le service de proximité ! »

Une autre phrase du rapport l’a fait sursauter. Celle sur « le contrôle des professionnels de santé (...) qui risque d’altérer au plan local la lisibilité de la doctrine nationale ». Comme s’il convenait de ne plus tarabuster les médecins à l’approche d’échéances électorales. Frémont, lui, se défend d’entretenir la moindre animosité à l’égard du corps médical. Il ne manque cependant pas de relever que la réforme Douste-Blazy « responsabilise les médecins en augmentant leurs rémunérations, et responsabilise les assurés en diminuant leurs prestations »... Quitte à parler de « vraie réforme », Claude Frémont préfère citer celle d’Alain Juppé, plus franche. « J’en ai marre du double discours, soupire Lucky Luke, en grillant une énième cigarette, je me casse. »


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