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La chronique de Jean-Pierre Robin

Les systèmes de santé prédisposés à la corruption

mardi 16 mai 2006, par Le Figaro


Nous savons depuis belle lurette qu’il y a « de la corruption dans les encensoirs ».

Que les seringues en soient également parfois remplies est moins banal et plus inquiétant.Transparency international (TI), l’organisation non gouvernementale qui depuis dix ans pourchasse de par le monde toutes les formes de prévarication - dessous de tables, bakchich, malversations - s’attaque cette fois au domaine de la santé. Un morceau de choix : les dépenses annuelles dans ce domaine représentent pas moins de 3100 milliards de dollars, 9 % du PiB (produit intérieur brut) mondial.

L’ONG y consacre son rapport annuel 2006 et sa section française, présidée par Daniel Lebègue, s’est non seulement fendue d’une traduction en français de ce pavé de 426 pages : elle a organisé une table ronde à Paris pour présenter son trophée.

Il n’est pas de sujet socio-économique plus grave. « La corruption détruit la vie », rappelle Thierry Beaugé, le vice-président de Transparence internationale France. Il cite le cas de l’enfant africain succombant à une intervention chirurgicale parce que l’injection devant réanimer son cœur contenait de l’eau et non pas de l’adrénaline. Tels sont les méfaits de la contrefaçon. Force est de constater que la corruption - « l’abus de position publique à des fins privées » selon la définition de TI - s’abat sur nos systèmes de santé comme « la petite vérole sur le bas clergé » de l’Ancien Régime.

Cette malédiction touche aussi bien les pays d’inspiration libérale que les États providence, et elle s’explique aisément.

William Savedoff, qui fut le chef économiste de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) avance trois raisons de fond, ! toutes liées au fonctionnement très particulier de ce secteur. Tout d’abord l’incertitude inhérente à la maladie : qui va-t-elle frapper, à quel moment, et quelle sera l’efficacité des traitements ? En second lieu l’information est déséquilibrée : les professionnels de la santé en savent plus sur la maladie que leurs patients et les laboratoires connaissent mieux leurs produits que les médecins ou les foncitionnaires chargés de les acheter. Troisième facteur d’opacité, le grand nombre des acteurs concernés, industriels, personnels soignants, administration, sans oublier les patients : leurs relations ne peuvent être que complexes, ambivalentes et conflictuelles.

Les professionnels sont confrontés à des « conflits d’intérêts » comme on en retrouve dans aucune autre profession. Jean de Kervasdoué, aujourd’hui professeur d’économie de la santé, après avoir été directeur des hôpitaux de 1981 à 1986, cite l’écrivain irlandais George Bernard Shaw : « On peut avoir autant confiance en un chirurgien payé à l’acte qu’en un général vendu à l’ennemi. » Une saillie qui date de 1913

La liste des turpitudes que dresse Transparency lnternational est aussi longue et diverse que les Gonquêtes de Don Juan. Détournement de médicaments ou de dispositifs médicaux achetés pour le public à des fins privés, commissions indues au bénéfice des prestataires de soin, fraudes à l’assurance-maladie, facturations irrégulières, corruption dans la chaîne d’approvisionnement pharmaceutique, contrefaçon des médicaments, ou tout simplement gaspillages...

Le professeur de médecine américain, Jerome Kassirer, stigmatise les industries pharmaceutiques, de matériel médical et de biotechnologie, qui déboursent « chaque année 16 milliards de dollars dans leur marketing aux médecins » outre-Atlantique. Les États- 1Unis consacrent 15,3 % de leur PIB aux dépenses de soins - record mondial, tout en affichant des performances de santé et d’espérance de vie inférieures à celles de l’Europe occidentale, qui consacre « seulement » 10 % de ses richesses à se soigner. Les deux plus d importants programmes américains de santé publique, Medicare et Medicaid, estiment que 5 % à 10 % de leur budget sont perdus en « paiements excessifs ». Ce qui n’est que gaspillage et concussion dans les pays riches, devient mortel chez les pauvres, qui enregistrent des milliers de morts, du seul fait des contrefaçons de médicaments, dénonce le rapport de TI.

Quel remède docteur ? Confronté à un mal universel, chaque État tend à y répondre selon sa culture. Aux États-Unis un établissement médical ne peut être dirigé par un professionnel de la santé, médecin ou biologiste : on considère qu’il serait soumis à un conflit d’intérêt. En France, c’est au contraire une obligation légale, l’homme de SCIence étant perçu comme un gage de professionnalisme et d’efficacité. Du côté des pa- tients, médecine et argent paraissent tout aussi difficiles à concilier. « Quand les soins sont gratuits, les patients sur-consomment, quand ils sont payants, ils sous-consomment ", résume Jean de Kervasdoué. Serions-nous tous devenus des « esprits cupides dans des corps malades » , à l’opposé du précepte latin dont nous nous prévalons depuis des siècles « mens sana in copore sano » ?

Fidèle à sa raison sociale Transparency International croit qu’il est possible d’acquérir « une âme saine dans un corps sain », grâce à une cure « de transparence à tous les niveaux ». D’où cette ordonnance en sept points : « des codes de conduites plus nombreux ; contrôle accru de la société civile et du Parlement ; devoir d’alerte généralisé ; organisation des mécanismes de paiements ; traiter des conflits d’intérêts ; développer le pacte d’intégrité dans les achats ; des sanctions exemplaires... ". Rien qu’à la lecture, cela semble aussi amer qu’une potion de foie de morue.

Pour ton bien mon fils.


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