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système de combat du futur

lundi 8 décembre 2003, par René Trégouët


Si, historiquement, le XXe siècle s’est bien achevé dans la liesse au cours de cette folle nuit berlinoise du 8 au 9 novembre 1989, notre XXIe siècle a véritablement commencé le 11 septembre 2001 avec la destruction du World Trade Center de New York, premier acte de terrorisme total et crime contre l’humanité d’une violence inimaginable dont nous n’avons pas fini de mesurer toute la portée.

En faisant définitivement voler en éclat le mythe d’une Amérique invincible et invulnérable sur son territoire, ces attentats ont modifié la nature de la donne stratégique mondiale et ont inauguré l’irruption d’un type de conflit radicalement nouveau dont le théâtre spatio-temporel est à la fois diffus et sans limites et dont les causes ne sont plus de classiques enjeux territoriaux ou la convoitise des richesse de l’adversaire, mais l’annihilation à n’importe quel prix et par n’importe quel moyen d’un système de valeurs.

Paradoxalement, c’est au moment où les Etats-Unis accèdent au statut de seule hyperpuissance impériale de la planète qu’ils sont confrontés, et avec eux l’ensemble de nos démocraties occidentales, à une menace nouvelle et redoutable face à laquelle toutes les réponses conventionnelles et unidimensionnelles du passé sont inefficaces. L’un des aspects radicalement nouveau des attaques du 11 septembre 2001 concerne le rapport coût-dommages humains et matériels de ces opérations qui, comparé à ce même ratio pour une guerre conventionnelle, est extraordinairement favorable au terrorisme international.

Le coût économique des attentats du 11 septembre dernier pour la ville de New York se situe entre 83 et 95 milliards de dollars. Or, selon les services de renseignement américains, la préparation des attentats du 11 septembre 2001 aurait coûté au plus 300.000 dollars à Al Qaida. Cela signifie que le coût économique global de l’attaque contre le World Trade Center est 250.000 fois supérieur à la "mise" investie par les terroristes. Sur le plan des pertes humaines, un calcul macabre mais éclairant, montre que chaque victime n’a coûté que 100 dollars aux terroristes.

La deuxième guerre contre l’Irak aurait coûté aux seuls Etats-Unis plus de 80 milliards de dollars. On voit donc que le ratio coût-dommages humains et matériels dans le cas d’une guerre conventionnelle est sans commune mesure avec ce même ratio dans le cas des attaques terroristes du 11 septembre 2001. Ce rapport coût-dommages fait entrer le terrorisme dans une dimension nouvelle et en fait une menace à la fois bien plus dangereuse et bien plus probable car elle nécessite des moyens technologiques, matériels et financiers infiniment moins élevés que ceux nécessaires pour la combattre.

Désormais, une poignée d’hommes décidés et bien organisés, s’appuyant sur le fanatisme et disposant de quelques centaines de milliers de dollars, peut, sans avoir recours à une technologie très sophistiquée, infliger à un état moderne et aussi puissant que les Etats-Unis des dommages humains et matériels absolument considérables (contre lesquels il est très difficile de se protéger, quelque soient les moyens mis en œuvre). C’est ainsi que des études américaines très sérieuses ont montré qu’une attaque bactériologique au charbon contre une grande ville américaine pourrait faire des centaines de milliers de morts et serait très difficile à contrecarrer.

C’est ce changement de nature de la menace terroriste qui conduit les Etats Unis à mettre en oeuvre une nouvelle stratégie techno-militaire de "guerre préventive" au niveau mondial et à modifier corrélativement l’équilibre géopolitique et stratégique planétaire, notamment au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Extrême-Orient.

En étendant en janvier sa liste des cibles à "l’axe du mal", M. Bush a fait radicalement évoluer les objectifs stratégiques de sa campagne anti-terroriste. Dans la nouvelle conception stratégique américaine, il ne s’agit plus seulement d’avoir une puissance militaire égale à celle de tous les adversaires potentiels réunis mais de faire face à toute menace, tous azimuts et à toute distance, au besoin par la guerre préventive.

Ce nouveau cadre géostratégique d’action des Etats-Unis a été formalisé et développé dans un document officiel publié le 20 septembre 2002 par la Maison Blanche et intitulé la stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis" ( http://www.whitehouse.gov/nsc/nss.html).

Ce document non seulement justifie les actions militaires "préventives" contre les "Etats voyous" et les organisations terroristes mais fait de ces conflits préventifs la nouvelle clef de voûte de la politique de défense et de sécurité américaine.

Ce mémoire énonce clairement la conception américaine de la sécurité internationale, les moyens d’actions que les Etats-Unis veulent utiliser pour défendre à la fois cette sécurité internationale et leurs intérêts propres et enfin le rôle spécifique des Etats-Unis en tant qu’arbitre et régulateur mondial des conflits militaires, économiques, politiques et juridiques entre états.

On peut notamment y lire, " Pour contrer et empêcher de tels actes d’hostilité de la part de nos adversaires, les Etats-Unis agiront, si nécessaire, de manière préventive. Nos forces seront assez fortes pour dissuader tous les adversaires potentiels de s’engager dans une course aux armements dans l’espoir de surpasser ou égaler la puissance des Etats-Unis."

Ce projet stratégique américain s’appuie sur un outil militaire dont la puissance et l’efficacité ont changé de nature en entrant dans l’ère numérique. En 1997, l’armée américaine réalisait sur le terrain ses premières manœuvres entièrement numériques. Ces manœuvres permirent de valider ce programme dit de "système de combat du futur" (Future Combat System FCS ( http://www.darpa.mil/fcs/index.html) qui d’ici 2008 aura intégré l’ensemble de l’armée américaine, qu’il s’agisse des hommes, du matériel et des munitions, dans un vaste système d’information, de communication, d’analyse et de commandement numériques. Ce système, s’appuyant sur des moyens d’investigations ultra-sophistiqués, satellites, mini-drones et images vidéo du terrain directement transmises par les combattants, sera capable de donner en temps réel une vision très précise du champ de bataille et de proposer une utilisation optimale des forces et des armements disponibles.

Prévu pour faire face à des conflits "classiques" mais aussi aux nouvelles menaces imprévisibles et diffuses liées au terrorisme international, le FCS traduit un nouveau concept militaire capital dans la l’évolution stratégique américaine, la RMA (Revolution in Military Affairs (( http://www.comw.org/rma/fulltext/overview.html)

La RMA a comme objectif prioritaire la neutralisation de l’adversaire la plus rapide possible. Désormais, ce qui compte avant tout, c’est de neutraliser l’adversaire, de le rendre sourd et aveugle. Il s’agit plus de maîtriser des situations que de régler (par les armes) des conflits.

Dans ce nouveau cadre, les états-majors travaillent à la mise en oeuvre de nouveaux types d’armes « intelligentes » : missiles capables de frappes « localisées » de grande profondeur, satellites de détection, drones de combats, exosquelettes décuplant la mobilité et les forces d’un fantassin etc... A cette panoplie s’ajoutent les armes non létales, c’est-à-dire destinées à paralyser les équipements et les hommes sans pour autant les tuer. La guerre de demain tendra essentiellement à éloigner l’homme du champ de bataille. Absorbé dans l’interface homme-machine, le soldat mènera avant tout une guerre de l’information. Les premiers « guerriers de l’information » (les I-warriors) sont actuellement formés à l’Université de la défense nationale à Washington.

D’une façon générale, l’ensemble du théâtre d’opérations doit être conçu comme un unique système intégré, innervé par des réseaux d’information de toutes sortes, y compris des réseaux commerciaux et le téléphone public. L’information est alors à la fois et simultanément un « moyen au service de toutes les forces », un « milieu », un « environnement » et un « enjeu ». La guerre de demain sera donc avant tout une guerre grâce, dans, et pour l’information.

Tel est l’enjeu de la RMA (http://www.comw.org/rma/fulltext/overview.html) et de son fer de lance, la guerre de l’information, l’information warfare) qui se déploie ainsi tous azimuts. Elle est guerre pour l’obtention, l’analyse et la diffusion de l’information. Mais elle est surtout guerre électronique, offensive et défensive : elle consiste en effet à « attaquer » les circuits électroniques de l’adversaire pour les brouiller, les détruire ou en transformer le contenu.

La RMA n’est pas sans soulever quelques questions fondamentales. On peut notamment se demander quel pourrait être l’intérêt de cette guerre de haute technologie face aux armées restées à l’âge « agraire » ou ayant tout juste atteint l’âge « industriel » des pays en voie de développement. On ne peut s’empêcher de poser cette question quand nous voyons ce qui se passe actuellement en Irak. Pour certains militaires, on ne doit pas leurrer le public : la guerre est incompatible avec la promesse de « zéro mort ». Cette illusion pose même une question plus fondamentale : quel serait ce pays dont les valeurs ne mériteraient pas qu’on risque sa vie pour elles ?

Le casque où se concentrent les informations provenant de l’ordinateur est équipé d’un système de suspension pour garantir la stabilité des organes optiques. En France, le pendant du Land Warrior, le programme Félin, devrait aboutir à une première version de démonstration en 2005 et équiper l’ensemble de nos troupes en 2015.

Avec ces ordinateurs-vêtements, l’uniforme lui-même devient en effet un composant essentiel du véritable système informatique porté par les futurs soldats. A l’aide du système de positionnement par satellite (GPS) et de la vision thermique, le fantassin pourra identifier immédiatement amis et ennemis. Le projet Land Warrior expose clairement son objectif : "rendre les combattants de demain plus "meurtriers", mobiles, numérisés, ainsi que plus longtemps disponibles et moins vulnérables".

En 2002, les USA représentaient à eux seuls plus de 44 % des dépenses militaires mondiales (840 milliards de dollars selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, SIPRI), et le budget militaire des Etats-Unis pour 2004, adopté le 12 novembre 2003 par le Congrès, s’élève à 401, 3 milliards de dollars pour la Défense en 2004, en hausse de près de 2% par rapport à 2003.

L’effort de défense des USA est donc dix fois le budget militaire britannique, le plus important d’Europe (40 milliards de dollars en 2003), et plus que les 20 autres premières puissances militaires du monde. (http://www.grip.org/bdg/g1018.html).

A titre de comparaison il faut savoir que les 5 premières puissances militaires de l’Europe, Grande Bretagne, France, Allemagne, Italie et Espagne, ne représentent ensemble que 18 % des dépenses militaires mondiales (151 milliards de dollars), et à peine 40 % des dépenses militaires américaines ! http://www.transnationale.org/forums/suprematie__suprematie/showmessage.asp ?messageID=84

Ces dépenses militaires américaines devraient s’élever en moyenne annuelle à 408 milliards d’ici 2007. Le budget 2003 prévoit aussi d’affecter quelque 7 milliards USD supplémentaires à la R&D militaire. Cet effort scientifique considérable risque bien d’élargir encore le « fossé » technologique entre les capacités militaires américaines et européennes à un point tel qu’il sera impossible à l’Europe de le combler.

La France et l’Europe doivent tirer tous les enseignements de la "guerre préventive" des Etats-Unis contre l’Irak. Cette nouvelle doctrine américaine constitue une rupture fondamentale et dangereuse avec les principes historiques du droit international. Selon ces principes, sauf pour se défendre contre un état agresseur clairement identifié, aucun état ne peut utiliser la force contre un autre état de manière arbitraire et en dehors du cadre du droit international et des mandats accordés par l’ONU.

Cette nouvelle donne stratégique et géopolitique née du monde de l’après 11 septembre 2001 éclaire enfin d’une lumière nouvelle la question du périmètre géopolitique de l’Union européenne et de son indépendance politico-militaire à l’égard des USA. Même si la sécurité de l’Europe ne peut sérieusement se concevoir, pendant très longtemps encore, que dans le cadre de l’Otan, il est capital que l’UE se donne les moyens logistiques, technologiques et opérationnels de devenir un 2e pilier de l’OTAN disposant d’une puissance et d’une capacité d’intervention non pas obligatoirement égale à celles des USA mais au moins suffisante pour lui permettre une réelle autonomie de décision et d’action en matière stratégique et militaire.

A plus long terme, la question du périmètre final de l’Union Européenne et du rôle géopolitique de l’Asie reste ouverte. Sur le plan géographique, historique et culturel, l’Europe va effectivement « de l’Atlantique à l’Oural » selon la célèbre formule du Général de Gaulle. On peut enfin espérer qu’avant la fin de ce siècle l’histoire, la géographie et la culture conduiront à la création d’une grande entité politique eurasiatique intégrant l’ensemble de notre continent, qui constituera, avec le pôle américain, l’autre grand pôle continental, de liberté, de puissance, de stabilité et de prospérité, dont le monde a besoin pour trouver un nouvel équilibre géopolitique et stratégique.

René Trégouët

Sénateur du Rhône


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