Quarante-et-unième Promotion du CNESSS

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Madame Bovary, c’est lui !

mardi 7 juin 2005, par Dr Anastasia Roublev

Lorsque Emma Bovary, née Rouault, quittée par ses amants et criblée de dettes, apprend que ses biens vont être saisis et que son mari va découvrir et son infortune et sa ruine, elle n’a plus qu’une ressource, le suicide. Elle se précipite chez l’ami de la famille, le pharmacien Homais, et pendant que les convives dînent, absorbe en quelques secondes de furie, le contenu d’un flacon de poudre d’arsenic.

Cette scène qui va clore le roman, permet à Flaubert de décrire avec forces détails, tirés de ses lectures médicales, la fin épouvantable de son héroïne. Après un « affreux goût d’encre » Emma est submergée par nausées, vomissements et sensation de froid « de glace ». Son mari, le docteur Canivet et un élève de Bichat, le docteur Larivière, consultés, ne peuvent rien pour la malheureuse. Malgré émétiques et autres thériaques, des hématémèses surviennent. « Sa poitrine se mit à haleter rapidement...ses yeux en roulant pâlissaient comme deux globes de lampe qui s’éteignent...une convulsion la rabattit sur le matelas...Elle n’existait plus. »

La même scène s’est répétée 150 ans plus tard à l’hôpital de Valladolid (Espagne). Le patient, un chimiste de 43 ans, avait choisi de mettre fin à ses jours de façon certaine en absorbant une préparation de son cru contenant 54 grammes de trioxide d’arsenic (AS203), soit environ 200 fois la dose létale estimée à 200 à 300 mg.

C’était sans compter sur l’acharnement et l’ingéniosité des réanimateurs du service de toxicologie de l’hôpital espagnol.

A l’arrivée aux urgences, 5 heures après l’ingestion, le patient est agité mais ses fonctions vitales sont conservées. Un traitement par lavage gastrique et charbon est immédiatement institué. Les taux d’arsenic à l’admission se révèlent extrêmement élevés (67 500 microgrammes/l dans les urines pour une normale inférieure à 50 et 132 microgrammes/l dans le sang pour une normale inférieure à 5). Dans les deux heures qui suivent l’admission, des signes d’intoxication aiguë apparaissent avec soif intense, vomissements, diarrhées, sensation de constriction pharyngée et paresthésies des membres inférieurs. Un traitement par chélateur de l’arsenic par voie intramusculaire est mis en route (dimercaprol) à la dose de 5 mg/kg toutes les 6 heures et un abdomen sans préparation (ASP) est pratiqué. Il met en évidence une masse radio-opaque de grande taille au niveau de la région antrale et une image radio-opaque spiculée au niveau d’une anse intestinale dans la fosse iliaque droite.

Devant cette intoxication aiguë à dose létale, les réanimateurs décident d’un traitement héroïque pour éliminer le poison non encore absorbé. Une laparotomie est pratiquée, le pylore est clampé et un nouveau lavage gastrique de 22 litres est réalisé en per-opératoire. Devant la persistance de matériel radio-opaque dans l’estomac malgré le lavage, une tentative de nettoyage de la cavité gastrique par endoscopie est réalisée. Sans succès. L’équipe décide alors de poursuivre l’intervention par une gastrostomie avec évacuation manuelle de l’estomac.

Durant les deux premiers jours post-opératoires sous réhydratation, dimercaprol et lavements évacuateurs, l’état du patient demeure stable. Le quatrième jour, le malade s’agite à nouveau, est désorienté et son taux d’arsenic sanguin monte à 160 microgrammes/l. L’ASP retrouvant des dépôts radio-opaques en regard du côlon droit, un nettoyage coloscopique est pratiqué.

Malgré cette élimination mécanique partielle de l’arsenic, l’état neurologique du patient se détériore avec tremblements, myoclonies et délire et le malade doit être ventilé. Durant les 20 jours suivants il développe outre des complications septiques variées, une pancytopénie, une encéphalopathie et une polynévrite.

Tous ces signes s’améliorent progressivement et le 55ème jour, le patient peut quitter l’hôpital avec comme séquelles, une neuropathie périphérique et des bandes de Meer sur les ongles des mains et des pieds signant l’intoxication à l’arsenic (stries transversales grises et symétriques de 1 à 5 mm de large).

Revu, près de 4 ans plus tard, le malade ne présente plus qu’une polynévrite distale peu sévère des membres inférieurs.

Plus efficace que le Dr Larivière, Antonio Duenas-Laita, l’auteur de cette observation exceptionnelle de l’utilisation de la chirurgie dans le traitement d’un empoisonnement, laissera sans doute une trace dans les annales de la réanimation et dans la littérature médicale...qui ne saurait effacer cependant celle de la jeune épouse trop romantique de l’officier de santé de Yonville, Charles Bovary, dans le souvenir de générations de lecteurs et dans la Littérature.

Dr Anastasia Roublev

Duenas-Laita A et coll. : « Acute arsenic poisoning. » Lancet 2005 ; 365 : 1982. © Copyright 2005 http://www.jim.fr

P.-S.

Duenas-Laita A et coll. : « Acute arsenic poisoning. »

Lancet 2005 ; 365 : 1982.

© Copyright 2005 http://www.jim.fr


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