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Rêve éveillé d’un après-midi d’été

mardi 10 août 2004, par Jean de Kervasdoué

La loi sur l’assurance maladie agite la sieste de Jean de Kervasdoué

SOUVENEZ-VOUS d’un été 2004 où l’on a prétendu à l’Assemblée nationale que l’on équilibrait les comptes de l’assurance-maladie, alors que l’on transférait des déficits aux générations futures d’un montant équivalant à une année de recettes de l’impôt sur le revenu.

Rappelez-vous le gouvernement de cet été-là, qui croyait tellement à la rigueur de sa politique que, pour vous faire bonne mesure, il a prévu de financer par la dette non seulement les déficits passés mais à venir, au moins ceux attendus jusqu’à la prochaine élection présidentielle. Une grande première !

Si les prélèvements obligatoires sont constants - ils augmentent tous, sauf l’impôt sur le revenu, qui a baissé jusqu’à cette année -, les dettes se creusent, et pas seulement la dette sociale : la croissance de la dette publique en 2003 a représenté 5 % du PIB, pour atteindre 63,7 %. Du jamais vu !

Gardez en mémoire que l’on vous a affirmé que le « dossier médical personnel » non seulement existerait en l’an 2007, mais permettrait d’économiser 3,5 milliards d’euros !

La France deviendrait alors un pays doublement béni des dieux, il garderait sa grande richesse et sa merveilleuse diversité et, de surcroît, on pourrait y bénéficier d’un investissement sans l’avoir réalisé.

La création d’un dossier médical personnel pour tous les Français est un projet d’au moins une dizaine d’années. Il coûterait plus de 10 milliards d’euros.

Il n’est envisageable que si le corps médical accepte une discipline qu’il a jusqu’ici refusée : tout écrire, en utilisant les mêmes termes, sur le même format de dossier, dans des centres serveurs facilement accessibles, en toute sécurité, rapidement, en ressaisissant des informations pour les patients qui auraient oublié leur carte...

Nous serions le seul pays à avoir non seulement résolu une question techniquement très complexe - pas seulement sur le plan informatique - mais nous l’aurions fait sans avoir précisé qui serait le responsable de ces dossiers : les établissements de soins, l’assurance-maladie, l’Etat, des entrepreneurs indépendants et à quelles conditions ils seraient rémunérés (de 100 à 150 euros par personne et par an).

N’oubliez pas demain que la contrepartie de la meilleure prise en charge des patients obtenue en choisissant un médecin « traitant » - choix justifié car la relation médecin-malade est d’abord une relation de confiance et de connaissance réciproques - a été la liberté des honoraires de tous les autres praticiens. Vraisemblablement vous continuerez à les voir directement. Ils y auront intérêt, vous serez moins remboursés, mais, dans le cas de cet accès direct, eux seront mieux payés. Ne vous étonnez pas qu’en conséquence vos cotisations pour votre assurance complémentaire augmentent dès 2005 : il faudra bien couvrir ces dépassements.

Observez la générosité du gouvernement à l’égard de l’industrie pharmaceutique : elle l’autorise depuis deux années à fixer les prix des médicaments « innovants », non seulement pour les prescriptions en ville, mais aussi, depuis 2004, à l’hôpital, qui, jusque-là, pouvait organiser une concurrence. C’est certainement au nom du « libéralisme » que l’on organise ce monopole clientéliste au profit d’une industrie qui s’essouffle.

Si le prix des nouveaux médicaments augmente, c’est d’abord parce que le nombre de nouveaux produits mis sur le marché décroît : seulement 28 en 2003. Aucune découverte majeure l’année passée et pourtant 2,1 milliards d’euros de plus. N’est-ce pas pour conserver notre place de leader, enfin une, celle de plus gros consommateurs de médicaments au monde ? En treize ans, cette consommation par habitant a plus que doublé et, avec elle, le nombre des accidents iatrogènes. En effet, une performance ! Appréciez la qualité des prévisions qui, pour parvenir à un équilibre en 2007, n’envisagent ni nouvelles épidémies, ni nouvelles grèves, ni croissance substantielle du revenu de certaines professions (chirurgiens, par exemple), ni nouvelles découvertes dans les trois années qui viennent.

Notez que l’hôpital (plus de 50 % des dépenses de l’assurance-maladie) n’est pas concerné par cette réforme et qu’aucun mécanisme de contrôle - à l’exception des arrêts de travail - ne permet de s’assurer du bien-fondé des prescriptions médicales. La confiance suffirait en France, mais en France seulement ; ailleurs on a également confiance mais on contrôle aussi. Cela ne nuit pas.

Ecoutez ! Vous avez entendu que l’opposition était contre ce projet de loi. Elle s’est bien défendue. Mais, au juste, pour quoi est-elle, au delà des incantations habituelles ? C’était un été, moins chaud que le précédent, on y faisait croire que l’on pouvait définitivement vivre à crédit et que la magie remplaçait la raison, rêve éveillé des après-midi d’été dont il arrive que l’on se souvienne.


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