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Osons remettre en cause le paiement à l’acte !

dimanche 25 avril 2004, par Jean Matouk


Faute de vraies réformes, le régime d’assurance-maladie sera en déficit de 12 milliards d’euros dès cette année et de 60 à l’horizon 2020. Le nouveau ministre de la santé semble vouloir relever le défi d’avoir fait voter une vraie réforme pour juin. Mais, compte tenu des positions affirmées par les uns et les autres, et au-delà d’une réforme de la "gouvernance" du système de santé, par laquelle chaque partenaire espère surtout passer le bonneteau aux autres, on voit bien se profiler le cocktail qui nous sera servi : augmentation des recettes - probablement la CSG - hausse de la "participation" du patient par le ticket modérateur ou une certaine franchise, à l’instar de ce qui a été décidé en Allemagne avec, au bout du compte, un appel plus important aux mutuelles, donc une hausse de leurs cotisations.

On ne touchera pas au cœur même de la machinerie, qui génère les dépenses pour la bonne et simple raison qu’elle peut remettre en cause la distribution des revenus entre les intervenants du système et, au premier chef, des médecins qui sont les prescripteurs de toutes les autres prestations. "Comptable" comme "médicalisée", la maîtrise des dépenses de santé semble une tâche impossible. Elle est d’ailleurs refusée par de nombreux praticiens dans son principe même, au triple prétexte que "la santé" est prioritaire dans les choix des Français, que le vieillissement génère automatiquement une augmentation des dépenses en même temps que le progrès des techniques médicales.

N’est-il pas temps de proposer enfin une remise en cause d’une partie essentielle de la machinerie : le paiement à l’acte ? On ne peut nier, en effet, que, sans être littéralement à l’origine du dérapage systématique des dépenses, il le rend tellement aisé qu’il en devient presque inévitable.

Sans même évoquer les abus, il faut reconnaître que le paiement à l’acte favorise la médecine curative au détriment de la prévention. Non que les médecins ne s’efforcent pas, dans leur majorité, de donner de bons conseils d’hygiène de vie à leurs patients. Mais en quoi le paiement à l’acte les y incite-t-il vraiment, puisque le même malade revenant consulter pour la même pathologie, sans jamais prendre les mesures d’hygiène personnelle permettant de l’éviter ou d’en freiner les effets, entraînera chaque fois un ou plusieurs actes médicaux et paramédicaux ?

Il serait d’ailleurs fort utile de profiter de la grande réforme annoncée sur l’éducation pour intégrer dans le cursus scolaire un enseignement d’hygiène détaillé et approfondi. Ce qui serait la base d’une vraie prévention, responsabilisant le citoyen sur sa santé. Gageons qu’à lui seul cet enseignement allégerait déjà considérablement le fardeau de l’assurance-maladie.

Mais la prévention gagnerait aussi beaucoup au passage du paiement à l’acte au paiement par capitation, c’est-à-dire l’abonnement chez le généraliste - ou spécialiste en cas de pathologie spéciale chronique - de son choix, avec possibilité symétrique de rompre le rapport. Le médecin serait incité à consacrer à son patient tout le temps qu’il faut au début de leur relation puis, une fois par an ou tous les deux ans, pour bien cerner son état de santé, ses faiblesses et habitudes, n’ayant aucun intérêt à le voir abuser des rendez-vous pour la même pathologie liée aux mêmes causes. Les autorités de la Sécurité sociale fixeraient une sorte de "charte" des relations entre médecins et malades indiquant, par exemple, le nombre "normal" de consultations par mois, trimestre ou année, sans aucune obligation cependant, la possibilité, pour le patient comme pour le médecin, de rompre l’abonnement restant le meilleur régulateur.

Au lieu d’être payé à l’acte, le médecin recevrait chaque trimestre, ou semestre, de l’assurance-maladie, la capitation de ses malades. A lui de fixer son revenu, au niveau qu’il veut, en acceptant le nombre d’abonnements qu’il veut. Les médecins trop gourmands prendraient le risque de perdre leurs clients par la précipitation des consultations. Ceux qui, au contraire, souhaitent pratiquer à un rythme plus réduit le pourraient tout aussi bien sans être soumis au stress inévitable qu’entraîne le paiement à l’acte.

La capitation serait calculée pour comporter l’obligation de garde, ce qui inciterait d’ailleurs les médecins à se regrouper en cabinets de groupe, titulaires des capitations, avec éventuels spécialistes, pour assurer ces gardes dans de bonnes conditions, soulageant les urgences hospitalières des pathologies bénignes qui ne relèvent pas de leur expertise. Enfin on peut imaginer que plusieurs médecins pourraient aussi se grouper pour avoir recours, sous la même forme de capitation, aux services d’infirmières, d’ambulanciers et de kiné, limitant ainsi les abus multiples auxquels ces prestations donnent lieu aujourd’hui.

Parmi ses autres mérites, ce mode de rémunération, en défavorisant le "zapping" médical, soulagerait nombre de praticiens des chantages des patients à la prescription de médicaments, aux arrêts-maladie ou aux examens inutiles. Sans doute en résulterait-il, pour certains professionnels de santé, une baisse de leur revenu par rapport à leur activité actuelle, qui ressortit quelquefois à un véritable "abattage" médical. Mais la collectivité est-elle tenue d’assurer à ceux-là le maintien coûte que coûte de leurs revenus ? Et nombre d’autres ne se sentiraient-ils pas plus à l’aise dans leur métier, et même le simple respect du serment d’Hippocrate ?

Les économies réalisées grâce à la prévention et à cette vraie réforme de la "machinerie" sanitaire, qui pourraient être largement supérieures au déficit constaté, seraient dans un premier temps affectées à l’hôpital public, outil essentiel de l’égalité devant les soins, qui expose aujourd’hui de vrais besoins. Ensuite, la croissance des cotisations, liée à la croissance économique, même faible, à 1,5 % ou 2 %, devrait suffire à faire face au surcroît annuel de dépenses liées au vieillissement et aux nouvelles techniques.

P.-S.

ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU MONDE DU 25.04.04

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