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arnaud ALLIAGA a écrit :

Le mal principal dont souffre l’hôpital en 2003 est d’ordre managérial

jeudi 27 novembre 2003, par Arnaud

"Le mal principal dont souffre l’hôpital en 2003 est d’ordre managérial. Il n’a ni une gestion ni un commandement à la mesure de l’extrême complexité de fonctionnement d’un grand hôpital moderne", note Dominique Coudreau, magistrat à la Cour des comptes et ancien directeur de l’ARH d’Ile-de-France dans la préface de "Ré-inventer l’hôpital", un rapport que l’Institut Montaigne, proche de Claude Bébéar (AXA), s’apprête à rendre public.

Je crois que la question mérite notre attention, les 1 500 établissements et leurs 750 000 agents traversent une crise sans précédent, aggravée par la mise en place rapide des 35 heures. Les syndicats jugent que le plan "Hôpital 2007" du gouvernement ne répond pas à l’urgence. Ils appellent à une journée d’action le 16 décembre. C’est une octogénaire, en phase terminale de cancer, que l’hôpital du Val-de-Grâce renvoie chez elle, à l’Ascension, faute d’infirmières. C’est un adolescent, accueilli aux urgences de Cochin, à qui l’on diagnostique une appendicite aiguë et qui est aiguillé, faute de chirurgien, sur une clinique privée. Ce sont ces listes d’attente qui atteignent parfois trois mois pour une consultation spécialisée. L’hôpital public est au bord de la rupture. Asphyxié par le manque de personnel, paralysé par sa bureaucratie et par son organisation taylorienne, menacé de banqueroute.

Les normes sanitaires de plus en plus contraignantes et la baisse de la durée du travail ont exacerbé cette crise. Le déficit chronique de l’assurance-maladie (30 milliards de déficit cumulé sur 2002-2004) n’arrange rien. " La situation budgétaire des hôpitaux est telle que certains, s’ils n’étaient pas des établissements publics, seraient en redressement judiciaire", pointe le docteur François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH). Sauf à fermer des lits, les budgets ne seront pas tenus en 2004, du fait de l’augmentation insuffisante accordée par le gouvernement (+ 4,2 %, après + 5,6 % en 2003).

Lancé en novembre 2002, le plan "Hôpital 2007", qui prévoit, entre autres, la rénovation d’un parc vétuste et l’introduction d’une tarification à l’activité (réforme du financement prenant en compte les pathologies traitées), a été conçu pour apporter des remèdes à l’horizon de la législature. Or tous les hospitaliers l’assurent, il y a urgence, car l’hôpital est "en danger".

Les effectifs sous tension. Pendant longtemps, les personnels n’ont pas compté leur temps. Jusqu’à ce que les 35 heures, introduites en septembre 2001, modifient les comportements. Les jeunes générations ne veulent plus faire de leur métier un sacerdoce. Le repos de sécurité, l’intégration des gardes dans le temps de travail et l’application à l’hôpital de la directive européenne limitant à 48 heures la semaine des médecins ont changé la donne. La conjonction de ces dispositions, des 35 heures sans création d’emplois ni réorganisation du travail suffisante et du manque d’effectifs est dévastatrice. Dans une lettre ouverte à Jean-François Mattei, plus de 180 grands patrons de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) viennent de réclamer des mesures d’urgence contre "la pénurie aiguë de personnel médical" (Le Monde du 15 novembre).

Selon eux, le nombre d’internes à l’AP-HP a diminué de 50 % au cours des dix dernières années et de 25 % depuis cinq ans. L’"augmentation raisonnée" du numerus clausus en médecine (5 600 places en 2004) et dans les écoles d’infirmières (30 000) n’y changera rien dans l’immédiat. D’autant que près de 40 000 agents employés la nuit doivent passer, début 2004, à 32 h 20 par semaine.

Le malaise des personnels. Les conditions de travail se dégradent. Dans le rapport qu’il a consacré au "désenchantement hospitalier", à la suite d’une mission d’information parlementaire, René Couanau, député (UMP) d’Ille-et-Vilaine, a constaté un "malaise généralisé"et relevé des indicateurs objectifs de "lassitude". L’accroissement de l’absentéisme pour "maladie ordinaire", l’augmentation des démissions et de la conflictualité, le nombre de postes vacants, qui atteint 40 % dans certaines spécialités et dans plusieurs régions. "Il y a 3 400 postes non pourvus. 8 000 médecins à diplôme étranger font fonctionner l’hôpital public à raison de 50 à 60 heures par semaine", relève le docteur Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). Personnels soignants (infirmiers, kinés...) et médecins se plaignent de leur charge de travail, des cadences et de la "déshumanisation" de leurs tâches. Le Syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH), majoritaire chez les directeurs d’hôpital, parle d’un syndrome de "burn out" (épuisement professionnel) des administratifs. La réduction des horaires d’ouverture des secrétariats désorganise les services, et la montée en charge des urgences au détriment des opérations programmées génère des tensions. Autant de sujets de crispation, qui émergent à l’occasion des restructurations hospitalières.

Un univers bureaucratique. Dans un monde de plus en plus judiciarisé, l’hôpital travaille sans filet et n’a pas de pilote. Son conseil d’administration ne peut ni faire exécuter son budget ni choisir ses managers ou ses principaux chefs de service, nommés par le ministère de la santé. Les cadres hospitaliers sont constamment tiraillés entre les exigences de l’Agence régionale d’hospitalisation et celles de l’administration centrale. "Ces dernières années, nous avons mis en œuvre des réformes de fond comme les 35 heures ou l’accréditation, tout en assurant le tout-venant. On nous en demande toujours plus. On veut nous faire courir un 100 mètres avec des boulets aux pieds", résume Florence Quiviger (SNCH) dans une allusion implicite aux rigidités statutaires, qui ne permettent guère de valoriser le travail bien fait. Les praticiens hospitaliers, pratiquement nommés à vie, défendent "leurs" lits. L’hôpital étant balkanisé, la défense des territoires prime souvent sur l’intérêt collectif. "Le mal principal dont souffre l’hôpital en 2003 est d’ordre managérial. Il n’a ni une gestion ni un commandement à la mesure de l’extrême complexité de fonctionnement d’un grand hôpital moderne", note Dominique Coudreau, magistrat à la Cour des comptes et ancien directeur de l’ARH d’Ile-de-France dans la préface de "Ré-inventer l’hôpital", un rapport que l’Institut Montaigne, proche de Claude Bébéar (AXA), s’apprête à rendre public.

Les scénarios de l’avenir. Les années qui viennent s’annoncent difficiles. Entre 2005 et 2015, plus de 383 000 hospitaliers partiront à la retraite. Soit un agent sur deux (et une infirmière sur deux). Le pic sera atteint en 2012 avec 30 000 départs. A la même date, les établissements de santé devront faire face à la demande d’une population vieillissante, comptant plus de 2 millions de personnes de plus de 85 ans. Sans réforme, l’hôpital sera bien en peine de répondre à toutes les demandes et à tous les patients. Une partie des syndicats hospitaliers (CGT, FO, SUD, CFTC) redoute qu’il ne soit contraint de se recentrer sur les urgences, de redevenir un "hôpital-hospice", les activités les plus rentables étant transférées aux cliniques privées. Ce scénario, qu’ils accusent M. Mattei de défendre au nom de l’idéologie libérale qui est la sienne, n’est pas le moins improbable. En Allemagne, faute d’avoir su ou voulu changer à temps, une partie des hôpitaux publics de Berlin et de Hambourg est à vendre.

P.-S.

Le système hospitalier public compte 1 503 établissements : 1 031 hôpitaux publics et 472 établissements privés à but non lucratif participent au service public hospitalier. Ils emploient 750 000 personnes, dont 706 897 fonctionnaires. 100 000 médecins et quelque 200 000 infirmiers travaillent à l’hôpital. Les effectifs sont très concentrés : les 31 centres hospitaliers régionaux (CHR), les 563 centres hospitaliers généraux (CHG) et les 97 centres hospitaliers spécialisés (psychiatrie) emploient 8 agents hospitaliers sur 10. Les services de soins font à eux seuls travailler plus de 500 000 agents titulaires. Plus d’un sur deux partira à la retraite d’ici à 2015. Le budget total de ces établissements s’élève à quelque 50 milliards. Les 39 hôpitaux de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris en absorbent 10 %.

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