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François Chérèque dans Les Échos

mardi 10 février 2004, par François Chérèque dans Les Échos


« Réformer pour lutter contre les inégalités sociales »

La CFDT a payé un lourd tribut à la réforme des retraites. Cela vous incite-t-il à changer de ligne de conduite sur la réforme de l’assurance maladie ?

Non.

Notre ligne de conduite reste la même que sur les retraites : réformer pour lutter contre les inégalités sociales. Car ne pas faire la réforme de l’assurance maladie, c’est transférer toujours plus de dépenses sur les assurés. Et ce sont encore les mêmes qui paieront, les Français modestes. Sur la forme, le débat se présente différemment. Ce ne sera pas un face-à-face entre les seuls syndicats de salariés et le gouvernement. Il y aura bien d’autres acteurs, qui ont leur mot à dire : les mutuelles, les professionnels de santé, les malades.

Il y a aussi le patronat. Le poussez-vous à reprendre sa place dans la gestion de l’assurance maladie ?

C’est bien parce que les syndicats de salariés ont continué d’assumer leurs responsabilités dans les caisses de Sécurité sociale que l’on est parvenu à un " diagnostic partagé " dans le cadre du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie. Si nous avions déserté comme le Medef, le système aurait explosé et le gouvernement aurait fait seul une réforme. Le patronat doit revenir parce que c’est la meilleure garantie que les entreprises continueront à financer la couverture maladie. Il devra prendre ses responsabilités, dans un cadre rénové. Le paritarisme d’aujourd’hui a vécu. Il faut l’élargir et réfléchir à la manière d’associer d’autres acteurs de la société civile, comme les associations de familles et de malades. Mais, auparavant, il est nécessaire de bien définir le rôle de l’Etat. C’est à lui d’arrêter la politique de santé, de déterminer, aidé d’une haute autorité à laquelle doit participer la communauté scientifique, ce qui doit être pris en charge, et le budget. Il appartient, ensuite, aux caisses, associées aux complémentaires, de gérer cette enveloppe de dépenses. Nous ne voulons plus d’un système hypocrite dans lequel le gouvernement s’efforce de maîtriser les dépenses des régimes de base en transférant la charge aux complémentaires. Et nous ne voulons plus d’un système qui exclut : les mutuelles et les assurances doivent arrêter de sélectionner certains risques ou populations.

Faut-il exclure l’hôpital de la réforme ?

Il faut réserver un sort particulier à l’hôpital car il est le premier garant de l’égalité d’accès aux soins. Il a aussi une fonction sociale. C’est un service public, qui doit rester sous la responsabilité de l’Etat. Cela ne doit pas empêcher de mieux coordonner la médecine hospitalière et la médecine de ville qui a, elle aussi, une mission de service public. L’épisode de la canicule a montré cet été les défaillances du système. Si l’on avait été capables de mieux prendre en charge les personnes âgées à leur domicile, on aurait sans doute évité bien des drames. J’ajoute qu’une bonne coordination est aussi source d’économies.

Précisément, d’où doivent venir les économies ?

Il n’y aura de réforme que si l’on agit simultanément sur trois éléments : l’organisation du système de soins, la gouvernance et le financement. De ce point de vue, le diagnostic du Haut conseil nous convient parfaitement. Mais je demande au gouvernement de dire très clairement dès aujourd’hui qu’il écarte les deux dangers que sont la mise en concurrence des caisses avec les assurances privées et l’étatisation de l’assurance maladie, qui déboucheraient, l’un comme l’autre, sur une privatisation partielle de la Sécu. Il faut que la concertation s’ouvre avec une feuille de route de la réforme qui soit claire, si le gouvernement veut que la CFDT s’y engage sans arrière-pensée.

Sur qui, des assurés ou des professions de santé, doit reposer l’essentiel des efforts ?

Nous sommes tous responsables de l’avenir de la Sécu. Un exemple : sait-on que 130 000 personnes sont hospitalisées chaque année à cause de la surconsommation médicale ? Il faut responsabiliser à la fois les assurés sociaux, victimes de leur propre nomadisme médical, et mieux former les prescripteurs que sont les médecins. Le rapport Fragonnard décrit bien les dysfonctionnements d’un système qui doit être régulé pour mieux servir notre santé.)

Cette idée n’est pas nouvelle. Pourquoi ce qui n’a pas fonctionné hier fonctionnerait demain ?

La question de l’organisation des soins n’a jamais vraiment été mise sur la table. Il y a eu un manque de courage politique, par exemple pour s’attaquer au problème de la libre installation des médecins, qui doit être mieux régulée sur le territoire. C’est typiquement le genre de blocage qu’il faut surmonter.

Les réformes de fond vont mettre des années avant de donner des résultats…

Nous n’évacuons pas, par principe, de nouvelles recettes, mais en annoncer aujourd’hui, c’est se condamner à ne rien faire sur l’organisation du système. Donc, nous refuserons toute augmentation des prélèvements sociaux tant que nous n’aurons pas eu satisfaction sur la réorganisation du système de soins. En même temps, il ne faut pas s’imaginer que l’on puisse résorber les déficits de l’assurance maladie simplement en faisant des économies. Dans ce domaine, les fausses promesses finissent toujours par retomber sur le dos des assurés.

Pour éponger les déficits déjà accumulés par l’assurance maladie, acceptez-vous l’idée d’une prolongation de la contribution au remboursement de la dette sociale ?

Prolonger la CRDS, c’est transmettre la dette à nos enfants. Il faut résister à cette facilité. Les dépenses d’aujourd’hui doivent être financées aujourd’hui.

Pensez-vous qu’il sera plus difficile d’obtenir un accord sur la réforme de l’assurance maladie que sur la réforme des retraites ?

Cette réforme est beaucoup plus compliquée. Les acteurs et les paramètres sont plus nombreux. Et les menaces pour la stabilité sociale sont plus élevées parce que l’on touche à un sujet où les inégalités engendrent rapidement de l’exclusion. Si la mobilisation s’avère nécessaire, la CFDT prendra ses responsabilités.

L’arrivée de Jean-Claude Mailly à la tête de FO vous complique-t-elle ou vous facilite-t-elle la tâche ?

Je n’en sais rien. Je ne l’ai jamais rencontré.

Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, a, l’autre jour, sévèrement mis en cause votre syndicalisme « d’accompagnement ». Que lui répondez-vous ?

Historiquement, il y a deux grands types de syndicats : ceux qui, comme la CGT, attendent les changements de la loi et du politique, et ceux qui, comme la CFDT, revendiquent plus de place pour l’autonomie des partenaires sociaux et veulent obtenir des changements par la négociation. La CFDT est fière de porter ce débat. Je suis prêt à discuter avec Bernard Thibault du type de syndicalisme que nous voulons. Ce n’est ni en lançant des invectives ni en comptabilisant les départs chez les autres qu’on fait avancer la cause du syndicalisme. Les deux principales organisations syndicales de ce pays ont une responsabilité vis-à-vis des salariés. Moi, je me refuse à intervenir dans la vie de la CGT.


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