Quarante-et-unième Promotion du CNESSS

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HAUT CONSEIL POUR L’AVENIR DE L’ASSURANCE MALADIE (I)

lundi 19 janvier 2004

Section I

1) Sur les dernières décennies, l’assurance maladie a puissamment contribué au développement du système de santé et à l’égalité des chances dans l’accès aux soins.

La généralisation de l’assurance maladie à toute la population et la diffusion des couvertures complémentaires permettent à pratiquement tous les assurés, quel que soit leur état de santé, leur âge ou leur revenu, d’avoir un accès aisé aux soins ; et ceux-ci sont très largement pris en charge. Même si l’on peut porter un jugement critique sur le rapport qualité/prix de notre système de soins - on y reviendra ultérieurement -, il n’est pas niable que le haut degré de socialisation de la dépense a accompagné la croissance d’un secteur de soins puissant - il occupe 12% de la population active - et de bonne qualité technique. L’état de santé des Français s’est amélioré - en témoigne la forte augmentation de l’espérance de vie sans incapacité. Ce résultat n’aurait pas spontanément été atteint sans que l’offre soit adossée à une prise en charge publique élevée et bien adaptée à la forte concentration des dépenses de santé. Le Haut Conseil porte au crédit de notre système les éléments suivants :

- les régimes obligatoires remboursent 81% de la dépense dans le périmètre des biens et services remboursables qu’ils ont défini et qui s’établit à 2 200€ par personne en 2002.

- ce niveau de prise en charge résulte de la combinaison de taux de remboursement qui s’étagent, pour la plupart des biens et services, entre 65 et 80% et d’un très puissant système d’exonérations qui aboutit à la gratuité quasi complète dès que les dépenses sont élevées. Ce système d’exonérations présente trois caractéristiques : ° il bénéficie à tous : notre système a en effet fait le choix de ne pas retenir de condition de revenu qui le limiterait aux ménages de petites ressources et de ne pas introduire de modulation du taux de prise en charge avec le revenu. ° dès que les actes techniques, notamment à l’hôpital, dépassent 98,5€, le coefficient K50 qui déclenche l’exonération, le ticket modérateur, le plus souvent 19€, est supprimé ° les assurés les plus malades sont pris en charge à 100%.

- c’est cette combinaison qui est au cœur de l’égalité dans l’accès aux soins. En effet, si la plupart des ménages peuvent assumer le ticket modérateur pour leurs dépenses « courantes » de soins, qui sont de montant très souvent modeste (moins de 40€ par an pour 15% d’entre eux et moins de 200€ pour 30%), le poids des fortes dépenses qu’ils doivent engager à certains moments de leur vie est tel qu’une large exonération du ticket modérateur s’impose si on veut ne pas trop solliciter leur budget ou évincer les plus modestes qui, faute de moyens, renonceraient à des soins de qualité.

Deux chiffres permettent de prendre la mesure de ce constat incontournable : 5% des personnes couvertes par l’assurance maladie mobilisent 60% des remboursements ; en moyenne, ces remboursements s’élèvent en 2000 à près de 20 000€ par personne, soit près de trente fois plus que les autres personnes protégées. Le Haut Conseil considère ainsi que l’armature de la prise en charge par les régimes de base de ces fortes dépenses doit être sauvegardé. On peut en changer les paramètres mais pas la logique.

2) ce système favorable de prise en charge explique largement la forte croissance des dépenses de soins.

Sur les quarante dernières années les dépenses de soins ont augmenté en moyenne à un rythme annuel supérieur de deux points à la croissance de la richesse nationale, passant de 3,5% du produit intérieur brut en 1960 à 8,9% en 2002. Si l’on retrouve cette tendance dans l’ensemble des pays développés qui, au demeurant, mettent en œuvre, comme nous mais avec des modalités diverses, des systèmes de mutualisation du risque, la France se situe parmi les pays qui consacrent le plus de leur richesse aux dépenses de soins. Elle a financé cette évolution par une vive augmentation des recettes dont l’essentiel est prélevé sur les revenus d’activité. Ce prélèvement a été accepté sans trop de difficulté, surtout en début de période où le pouvoir d’achat des ménages progressait nettement.

Mais avec les années, la levée des recettes a posé des problèmes politiques et économiques de plus en plus aigus. On a été conduit à augmenter les tickets modérateurs.

Parallèlement, le système de soins a fait l’objet de critiques de plus en plus sévères : la qualité n’est pas à la hauteur des investissements ; l’offre, excessive et mal coordonnée, est financée par un système trop passif de prise en charge. Les pouvoirs publics - et, à des degrés divers, les partenaires sociaux et les organisations des professionnels de la santé - ont essayé de maîtriser la dépense. Les résultats n’ont guère été au rendez vous. L’opinion, pourtant acquise au système, s’impatiente de ces échecs. Elle en supporte les conséquences directes (augmentation de la CSG et du ticket modérateur) et les attribue, de façon au demeurant excessive, à des abus, des gaspillages et une mauvaise organisation. Le vieillissement de la population, l’évolution des techniques médicales, les exigences des professionnels en termes de conditions de travail et de revenu, celles des assurés qui demandent le niveau le plus élevé de garanties dans la dispensation des soins amènent à penser que les dépenses de santé continueront à croître, peut être à un rythme un peu inférieur à celui des dernières décennies, mais très vraisemblablement significatif (la plupart des projections retiennent des taux de croissance supérieurs de 1 à 2 points à l’évolution du PIB). Cette évolution - commune à l’ensemble des pays développés - provoque de fortes tensions sur les finances publiques de ces pays. Tous ont entrepris - avec des fortunes inégales - de la contenir sans affecter la logique de solidarité de l’assurance maladie.

3) les perspectives de croissance des dépenses constituent en effet un défi majeur

La situation financière de l’assurance maladie est déjà critique : 11Md€ de déficit prévu en 2004 ; une tendance - certes récente mais inquiétante - à l’endettement. Les projections financières pour les années à venir sont claires. En supposant que les recettes évoluent spontanément comme la richesse nationale, que le système de remboursement reste stable et que l’organisation de l’offre des soins ne soit pas réformée, et sur l’hypothèse d’une croissance des dépenses supérieure de 1,5 point à l’évolution du PIB, le déficit annuel (en euros constants 2002) passerait à 29Md€ en 2010 et à 66Md€ en 2020 (hors charges de la dette). Ce niveau de déficit est insupportable. Au-delà d’ajustements conjoncturels, il ne serait pas admissible de recourir de façon systématique à l’endettement, inacceptable sur le plan moral dans la mesure où les générations de nos enfants n’ont pas à payer nos dépenses courantes et destructeur sur le plan financier (par un effet de boule de neige, l’endettement se nourrit par lui-même, les charges financières venant grever de façon écrasante le déficit courant : elles représenteraient ainsi 20% du déficit de l’année 2020).

Le Haut Conseil est ainsi unanime dans son refus de recourir à un endettement massif pour couvrir la croissance des dépenses de l’assurance maladie. Equilibrer nos comptes, sans recours à l’emprunt, crée alors de très fortes contraintes. S’en remettre à la seule augmentation des recettes aboutirait à doubler la CSG ; son taux passerait de 5,25 à 10,75 points à l’horizon 2020, soit un prélèvement supplémentaire de 66Md€. Une telle pression sur les prélèvements obligatoires conduirait d’ailleurs à un effet d’éviction massif au détriment des autres besoins collectifs. Alors que le taux de prise en charge publique des soins est le plus élevé parmi toutes les fonctions du budget social, vouloir le maintenir intangible en augmentant les cotisations assècherait toutes les marges envisageables pour les autres politiques publiques. S’en remettre exclusivement à une baisse des remboursements conduirait à remettre en cause les principes de solidarité qui sous tendent l’assurance maladie. Pour couvrir le déficit à l’horizon 2020 sans recettes nouvelles, il faudrait en effet diminuer de 21 points le taux de prise en charge dans les régimes de base où il passerait de 76 à 55% de la CBSM. Une dégradation de ce type impliquerait notamment qu’on touche durement aux régimes d’exonération des assurés qui supportent les plus grosses dépenses.

Enfin, devant la difficulté de lever de fortes recettes et/ou celle d’augmenter massivement le ticket modérateur, on pourrait en venir à un rationnement insidieux des soins, l’assurance maladie renonçant alors à assumer le progrès des sciences et techniques médicales. Restreindre subrepticement le périmètre des soins remboursables permettrait certes de maintenir les taux de remboursement ou de ne pas les dégrader trop, mais ce serait au détriment de la qualité des soins.

L’opinion, au demeurant, n’acceptera des efforts que si elle est assurée qu’ils ne se dissipent pas dans des abus ou dysfonctionnements du système de soins. 4) Face à de telles contraintes, la conservation d’un système d’assurance maladie solidaire et plus économe en prélèvements obligatoires passe par la conjugaison de trois actions

- a) il faut améliorer le fonctionnement du système de soins.

D’abord - cela va de soi - pour assurer les meilleures conditions de qualité et de sécurité pour les malades. Ensuite pour garantir l’efficacité des fonds publics investis . Il faut donc entreprendre une action méthodique et résolue pour réorganiser le système de soins autour d’un meilleur rapport qualité/prix. Les marges existent au jugement de la plupart des partenaires sociaux et médicaux qui jugent avec une grande sévérité les dérives d’une assurance maladie mal régulée et mal gouvernée. Ils différent certes sur l’ampleur de la désoptimisation du système, les raisons de ces dérives et les méthodes adéquates pour les cantonner dans un premier temps, les résorber ensuite. Mais l’objectif semble unanimement partagé. On doit donc attendre d’une meilleure maîtrise des dépenses un infléchissement prononcé des dépenses. Mais il est illusoire de penser que des résultats très appréciables pourront être rapidement dégagés. La convergence des dépenses - au taux actuel de prise en charge - et des recettes - à assiette et taux constants - ne saurait intervenir au mieux qu’au terme de quelques années. Un scénario de ce type est analysé dans le dernier rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale. Si l’équilibre financier de l’assurance maladie était atteint, par un cheminement régulier, en 2010 la dette accumulée serait toutefois de 80Mds€. On peut au demeurant penser que, même si le système est purgé de ses excès, les dépenses évolueront quand même durablement plus vite que la richesse nationale. A court comme à moyen terme, il faut donc jouer sur les autres paramètres du compte de l’assurance maladie.

- b) l’ajustement des conditions de prise en charge

Les principes de solidarité de notre système de prise en charge sont sains. Ils permettent un libre accès à des soins de qualité pour tous. Le Haut Conseil réaffirme son attachement à ces principes. Il estime toutefois qu’on peut faire évoluer certains paramètres de la prise en charge sans remettre en cause ces principes. D’un côté, le reste à charge pour la plupart des Français - les sommes qu’ils supportent avant couverture complémentaire - est très bas ; il est ainsi en moyenne de 185€ par personne, dépassement inclus, pour 80% d’entre eux. Le taux d’effort de ces ménages reste très modéré : moins de 3%. Ce taux est sans commune mesure avec celui qu’ils connaissent pour d’autres besoins sociaux, pour se loger par exemple. La diffusion des couvertures complémentaires - largement adossée, pour les salariés, à un statut social et fiscal des cotisations très favorable - rend le taux d’effort final très bas (de l’ordre de 1% du revenu en moyenne pour ces ménages). Plus généralement, « l’aisance » dans l’accès aux soins - fréquence des procédures de tiers payant, prise en charge quasi complète - présente, notamment pour les ménages modestes, des avantages incontestables. Mais elle ne dresse aucun obstacle aux comportements négligents, voire laxistes, de consommation et de prescription. D’un autre côté, certains assurés supportent un reste à charge élevé. Il est en moyenne de 900€ par an pour 20% des ménages. C’est le cas lorsque les assurés supportent des tickets modérateurs importants (parce qu’ils ont eu un recours fréquent et coûteux aux soins de ville ou parce qu’ils acquittent 20% du coût d’une hospitalisation de durée sans acte technique ouvrant droit à l’exonération au titre du K50). C’est le cas aussi d’assurés qui, par choix ou contrainte, supportent des dépassements élevés. Sans doute pour la plupart d’entre eux le ticket modérateur - et, pour un nombre significatif, les dépassements - sont ils « effacés » par leur couverture complémentaire ; mais pour les plus modestes, en gros les ménages du deuxième décile qui ne sont pas protégés par la CMUC, la charge est lourde et peut à la limite les amener à renoncer à des soins utiles.

En conséquence, tout ajustement des taux de remboursement qui 1° n’épargnerait pas les ménages qui exposent les dépenses les plus élevées et 2° n’épargnerait pas également ceux qui ont les revenus les plus modestes méconnaîtrait les principes mêmes de la solidarité nationale. Au demeurant, si ces ajustements étaient significatifs, il conviendrait d’étudier des mécanismes en atténuant les effets (adaptation de la CMUC, aide à l’acquisition de la couverture complémentaire).

- c) l’action sur les recettes

Le système des recettes des régimes de base est fondé sur trois éléments majeurs :

- l’essentiel provient des cotisations et CSG sur les revenus d’activité. Ainsi, dans le régime général, ces recettes, totalement déplafonnées, aboutissent à un prélèvement de 18,8% sur le salaire brut. La lourdeur de ce prélèvement a conduit à l’abaissement des taux pour les emplois non ou peu qualifiés, avec compensation par l’Etat.

- les revenus de remplacement bénéficient d’un régime favorable de prélèvement : pas de cotisation patronale ; taux réduit de GSG ; taux réduit ou exonération de cette CSG.

- la diversification des recettes est d’un rendement limité : les autres recettes, notamment la soumission d’une partie des revenus du capital à la CSG et l’affectation à l’assurance d’accises sur le tabac, les vins et alcools représentent environ 8% des recettes.

Ce système En premier lieu, le Haut Conseil considère comme positives, au regard de l’objectif de solidarité nationale, certaines des caractéristiques de ce système : les cotisations ne tiennent pas compte de l’état de santé des assurés ; elles sont indépendantes du nombre des personnes du foyer, ce qui constitue une aide puissante aux familles nombreuses ; leur déplafonnement fait appel à la solidarité entre ménages de revenus différents. Comme les dépenses varient, elles, fortement avec l’état de santé et l’âge et peu avec le revenu, l’assurance maladie met en œuvre un puissant mécanisme de transfert des bien portants vers les malades, des jeunes vers les plus âgés, des familles « courtes » vers les familles nombreuses, des ménages aisés vers les assurés plus modestes. En second lieu, l’assiette salariale évolue en longue période comme la richesse nationale, sans fluctuations majeures.

Elle constitue à ce titre une « bonne » assiette, robuste et bien rodée.

Mais ce système de recettes ne saurait suffire dès lors que la dépense s’accroît plus vite que le PIB. Ce fut le cas dans le passé où c’est l’augmentation des taux - et, à la marge, les transferts des excédents des autres branches de la sécurité sociale via la trésorerie commune puis, plus récemment l’endettement - qui ont couvert l’impasse financière. Même si la restructuration du système de soins - qui doit constituer une priorité catégorique - et la révision de la prise en charge peuvent diminuer très sensiblement le besoin de financement, il faut envisager qu’on doive, en longue période, augmenter les recettes. La CSG, par son assiette large et le principe de proportionnalité qui la sous-tend, peut apparaître comme une réponse adaptée au problème de financement.

Il n’appartient pas au Haut Conseil de délibérer directement sur d’éventuelles réformes d’ensemble du système des recettes de l’assurance maladie. Mais il estime que, en lien avec des études sur ces réformes, des réflexions pourraient utilement être menées sur le système de recettes en prenant notamment en considération les principes d’universalité de l’assiette, de parité des efforts contributifs entre les régimes et de cohérence du traitement des revenus de remplacement

Il insiste par ailleurs sur la nécessaire transparence des rapports financiers entre l’Etat et l’assurance maladieappelle deux commentaires fondamentaux.


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