Quarante-et-unième Promotion du CNESSS

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Treize propositions pour la réforme de l’assurance-maladie

vendredi 2 janvier 2004, par Daniel Bouton

DOCTEUR, acceptez-vous de me soigner, mon fils paiera la note dans quinze ou vingt ans ? Ce type de dialogue décrit l’état de faillite de notre assurance-maladie et illustre l’incroyable situation dans laquelle nous sommes. Notre pays n’a pas de raisons de connaître de forte croissance démographique, a organisé la réduction de la quantité de travail, et donc la très faible croissance de la production nationale, et est en train de renvoyer sur les générations suivantes les dépenses courantes du fonctionnement de l’Etat et de l’assurance-maladie. L’incapacité à décider et l’égoïsme dont les actifs d’aujourd’hui font preuve à l’égard de leurs enfants et de leurs petits-enfants devraient susciter la légitime révolte de tous les moins de vingt ans qui seront bien incapables de payer nos dettes, sauf à opérer une gigantesque ponction sur leur pouvoir d’achat.

Le système français d’assurance-maladie ne peut pas, ne doit pas survivre tel qu’il est. Au-delà des rustines immédiates et nécessaires, des mesures obligatoires de moyen et de long terme sont indispensables dès aujourd’hui. Les réflexions qui suivent se contentent d’ouvrir quelques pistes pour le débat. Le système français d’assurance-maladie repose sur un très haut niveau de qualité des soins avec une socialisation complète (ou presque) du financement et un recours au contraire très large au marché pour l’offre.

Comme dans toute activité publique non désintéressée, chaque acteur du système de santé non public a pour objectif de maximiser son revenu dans le cadre du financement public. Le très haut niveau de dépenses de santé et le déficit de l’assurance-maladie résultent de la combinaison d’un facteur inéluctable lié au vieillissement de la société et des déséquilibres et dysfonctionnements intrinsèques de notre système. Les suggestions suivantes portent sur les recettes, la gouvernance et les dépenses. Elles remettent en cause une quantité non négligeable de principes apparemment acquis depuis 1945. Elles ont pour objectif de pallier les effets de ces déséquilibres et non de limiter la part des dépenses que les Français entendent consacrer à la santé, qui ne doit résulter que des choix futurs de tous les Français.


1. Ne pas augmenter les prélèvements sur les actifs

L’objectif essentiel de toute réforme de l’assurance maladie française doit être de maintenir le très haut niveau de soin et la solidarité construite depuis 1945, mais il faut composer ce principe avec la situation économique d’un pays vieillissant ayant massivement opté pour l’absence de croissance économique. Par conséquent, le principe numéro un des propositions qui vont suivre est d’interdire tout recours à une augmentation des prélèvements obligatoires pesant sur les actifs. En les augmentant encore, on risquerait de tarir la source de création de richesses à laquelle s’étanche la soif redistributrice. Les ressources supplémentaires nécessaires doivent provenir soit de décisions individuelles des Français (déremboursements, mutuelles), soit de prélèvements pesant sur les classes d’âge inactives. En conséquence, une première mesure serait donc, en matière de ressources, de supprimer toute dégressivité de la CSG en fonction de la nature des revenus (retraites), voire d’augmenter son taux en fonction de l’âge.


2. Récupérer les dépenses maladie sur les successions

On doit analyser les effets patrimoniaux de la Sécurité sociale en combinant le vieillissement, la prise en charge des dépenses maladie par la collectivité, avec le droit fiscal et social. On aboutit à ce résultat paradoxal que les cotisations d’assurance-maladie et la CSG, payées principalement par les actifs, permettent de maintenir presque intégralement le revenu et donc le capital transmis par le de cujus de 83 ans à l’héritier de 61 ans. Une réflexion doit s’engager sur l’institution au profit de la Sécurité sociale d’un droit à récupération sur les successions des dépenses médicales des dernières années de la vie.


3. Adopter un mode de gouvernance rigoureux

La gouvernance actuelle de la Sécurité sociale est une des explications majeures de la faillite à laquelle on assiste. La loi de financement de la Sécurité sociale a démontré son inefficacité dans la maîtrise des dépenses. Le recours, sans aucune autorisation du législateur, au compte d’avances de la Caisse des dépôts, à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros, par simple arrêté constitue la plus belle violation des principes de base de bonne gestion financière. La loi de financement de la Sécurité sociale, dont l’essentiel des ressources provient de la CSG, doit être intégrée dans la loi de financement de l’année et soumise aux procédures afférentes. Les avances de la Caisse des dépôts doivent être interdites. Un déficit supplémentaire doit être soit financé par le collectif, après autorisation du Parlement, soit faire l’objet d’un financement par le marché avec une garantie formelle et plafonnée de l’Etat. Le fouillis de la gouvernance entre les pouvoirs du ministre de la santé, ceux de l’assurance-maladie, ceux des autres établissements publics doit être clarifié sur la base d’un double principe. Le gouvernement est responsable de la politique de santé, donc de l’offre, donc des volumes. La caisse d’assurance ne devrait, elle, être responsable que des prix par la négociation avec les professions concernées, sans droit pour le ministre de réformer ses décisions. La caisse nationale d’assurance-maladie pourrait être gouvernée par un directoire de trois personnes, nommées suivant une procédure à définir par le gouvernement, avec l’aval du Parlement. Ce directoire aurait un mandat long et ne pourrait être révoqué qu’au terme d’une procédure lourde, exceptionnelle et publique. Un conseil de surveillance à caractère consultatif permettrait au directoire de s’entourer des avis nécessaires, les partenaires sociaux étant confinés à ce rôle, sauf délégation expresse d’un morceau de la gestion, comme pour les régimes complémentaires vieillesse.


4. Faire diriger les hôpitaux par des représentants des cotisants

Modifier le mode d’administration de l’hôpital public : le payeur public doit être le décideur. N’étant pas le payeur, la collectivité territoriale d’implantation n’a pas de légitimité à assurer la présidence du conseil d’administration de l’hôpital. La composition des conseils d’administration doit donc être modifiée. Ces conseils doivent avoir tous pouvoirs de nomination des cadres, le ministre perdant en conséquence les pouvoirs qu’il exerce directement.


5. Faire des Français les acteurs de la maîtrise des dépenses de médicaments

Les Français sont les champions du monde de la consommation de médicaments. La profitabilité en France des laboratoires pharmaceutiques repose sur la maximisation de la dépense publique. La collaboration des médecins libéraux à la maîtrise des dépenses de médicaments ne peut être surestimée. Seuls les payeurs peuvent contribuer à la maîtrise de la dépense pharmaceutique. Réduire la consommation française de médicaments de 20 % à 25 % en trois ans doit être possible, par la mise à la charge irréductible de l’assuré d’une somme fixée à la fois par ordonnance et par boîte de médicaments et de la limitation du remboursement au prix du générique lorsque celui-ci existe. Cela peut être obtenu par la loi si la voie contractuelle avec les mutuelles et les assureurs échouait.


6. Réduire la multiconsommation médicale

On sait que la consommation médicale varie région par région en fonction de l’offre. En effet, les médecins libéraux et publics sont des agents économiques rationnels, qui ont tout intérêt à multiplier les actes dès lors qu’ils sont pris en charge par la Sécurité sociale. La surconsommation de médecins à la discrétion des patients ne doit pas être remboursée par la Sécurité sociale. Il faut soit passer au système permanent du médecin référent, soit plafonner les dépenses remboursées qui ne sont pas ordonnées par le médecin qui a servi de point d’entrée.


7. Maîtriser les dépenses d’indemnisation des victimes

De nouveaux besoins sociaux, de nouveaux marchés pour les professions judiciaires se sont développés avec l’appui de la société médiatique. Il est nécessaire de lutter aujourd’hui par la loi contre les excès qui en découlent et qui ont des conséquences très graves sur le niveau de dépenses de santé. Tout malade qui doit se faire soigner doit supporter le risque d’un aléa thérapeutique. Le marché de l’indemnisation des victimes de ces accidents, qui a été développé par les professions judiciaires et par le législateur, doit être encadré par un plafonnement des indemnités par le législateur.


8. Dépénaliser les accidents thérapeutiques

La pénalisation progressive de la vie médicale et le risque pénal pesant sur toutes les professions médicales ont un effet probablement très lourd sur le niveau des dépenses. Le médecin ne doit pas avoir pour objectif premier de pouvoir démontrer qu’il a fait toute diligence pour être à l’abri d’une mise en examen. Le législateur devrait ramener strictement le champ des délits pénaux à celui de la volonté de tuer ou de blesser, sans délit d’homicide involontaire.


9. Lutter contre la fraude à la Sécurité sociale

L’assurance-maladie française est devenue le champ ouvert d’une contrebande généralisée, contre laquelle aucun réflexe de générosité ne devrait interdire de lutter. Il convient soit de supprimer la carte Vitale, soit de mettre en place un système à définir de contrôle d’identité lié à son utilisation. Notre tradition de générosité et d’ouverture est noble, mais il n’est plus possible de laisser fleurir des filières plus ou moins organisées d’origines multiples donnant accès à notre système de soins et également à la prise en charge par la collectivité nationale, s’agissant aussi bien d’adultes dépourvus de tout titre de séjour que de personnes venant sous couvert de titres de séjour touristiques.


10. Ne plus rembourser les dépenses d’accidents liés à la pratique d’un sport

La pratique volontaire d’une activité physique sportive ne doit pas être prise en charge par la collectivité nationale. Il convient par conséquent de supprimer sa prise en charge par la Sécurité sociale.


11. Faire prendre les décisions les plus lourdes par des médecins salariés

Des décisions aussi lourdes pour les finances publiques que le classement en maladie longue durée ou les arrêts de travail longs ne devraient pas continuer à être déléguées aux médecins libéraux ou hospitaliers, qui n’ont pas pour objectif premier une bonne maîtrise des dépenses de santé. Ces dépenses devraient être décidées par des agents payés par le payeur, la Sécurité sociale, c’est-à-dire des médecins salariés de la Sécurité sociale, dont il faudra augmenter les effectifs.


12. Augmenter, à moyen terme, la part des actes de soin confiés à des personnels non médecins

L’histoire de notre système universitaire médical fait que l’on a confié à des médecins hautement qualifiés le monopole des actes médicaux, y compris ceux de la vie courante. En même temps que s’améliorera la démographie médicale, il conviendra de faire descendre vers des personnels de haute qualité mais aux coûts de formation moins élevés (bac + 3, bac + 5) la responsabilité des actes médicaux de la vie courante. De la même manière devrait être étudiée la modification du système de distribution des médicaments, en réservant le monopole des pharmaciens diplômés à la distribution des médicaments les plus chers ou les plus dangereux.


13. Introduire des éléments de concurrence

Au-delà encore, il faut bien admettre que le monopole de la gestion confié à la Sécurité sociale française est intrinsèquement porteur de surcoût. Introduire des éléments de concurrence dans les systèmes de gestion et entre les offreurs de soins est indispensable pour éviter que la banqueroute actuelle de la Sécurité sociale ne se transforme en une faillite définitive.

Daniel Bouton


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